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La voix des personnes atteintes d'un cancer du sein

Éducation

blogue À nous la parole


Droit devants vers la nouvelle personne que je suis

Par Janet MacLeod


Janet MacLeod« Ça fait du bien de te voir dans ton état normal », m’a récemment dit un ami. J’ai hoché la tête et affiché mon plus beau faux sourire. Ça fait maintenant trois ans que j’ai reçu mon diagnostic de cancer du sein, deux ans que mes traitements sont terminés et dix-huit mois que j’ai subi une mastectomie bilatérale. J’ai perdu mes cheveux, j’ai reçu des radiations, j’ai été émincée, coupée en cubes et rapiécée. Je suis forte. Je suis heureuse, mais je suis loin d’être revenue à mon état « normal ».

La « normalité » a disparu un vendredi après-midi lorsque mon médecin m’a appelée pour me donner les résultats des tests.

« C’est une tumeur maligne, m’a-t-elle dit, et c’est pire que ce à quoi nous nous attendions. » Elle n’en saurait pas plus avant une autre semaine. Alors, le matin suivant, mon conjoint Jim et moi-même avons fait comme s’il n’y avait aucune chance que je meure. C’est aux petites heures du matin, alors que j’étais couchée dans un lit d’hôtel, que mon imagination s’est emballée et que des scénarios sombres et terrifiants me sont apparus. Arrachée à mon petit monde douillet, j’ai été happée par un autre, beaucoup plus effrayant : celui du cancer.

Mon chirurgien m’a dit que je devais subir des lumpectomies et de la chimiothérapie, suivies par de la radiothérapie ou une mastectomie. Il y avait deux tumeurs; une dans chaque sein. Il a parlé d’un tas d’autres choses cette journée-là, mais le seul mot que j’ai entendu était « soignable ». Jim et moi nous sommes serrés très fort l’un contre l’autre et nous avons recommencé à respirer. À ce moment, en sachant que l’avenir existait encore, j’ai pu commencer à m’y préparer. Il était temps de « me botter le derrière ».

Je me suis acheté un grand agenda quotidien et j’ai rempli presque toutes les cases avec mes rendez-vous : biopsies, échographies, traitements de chimiothérapie. Lorsque je n’étais pas à l’hôpital, je consultais un naturopathe ou je pratiquais le yoga. Je dévorais toute la littérature sur le sujet et j’ai ainsi rempli mon cerveau de termes comme « lobules » et « carcinome canalaire ». Notre frigo, auparavant rempli de camembert et de vin, débordait maintenant de chou frisé et de bok choy. Jim m’a rasé la tête et nous avons célébré avec un tout petit verre de champagne. Je me suis acheté de nouveaux chapeaux en l’honneur de ma nouvelle tête et j’ai commencé à rédiger un blog. En bref, j’étais une guerrière.

Pendant une année, le cancer était mon occupation à temps plein. J’ai cessé de travailler et j’ai consacré mon temps à redevenir en santé et à faire tout en mon pouvoir pour réduire les risques de récidive. L’hôpital est devenu ma deuxième maison et j’ai appris à aimer tous les médecins dévoués et les infirmières fougueuses qui prenaient soin de nous. Durant les traitements, je pensais aux choses que je voulais faire une fois que ma vie reviendrait à la normale; me rendre en Arizona en voiture, jouer au tennis, faire un marathon. Finalement, mes traitements se sont terminés et je n’avais plus aucune trace de cancer. Je pouvais maintenant retourner à mon ancienne vie.

Puis, mon monde s’est effondré. La femme qui avait traversé l’épreuve qu’est la chimiothérapie pleurait maintenant dans un coin. La sonnette pouvait se faire entendre, mais je restais plantée là, incapable de répondre à la porte. Si je voulais une tasse placée sur une tablette haute et que j’étais incapable de la prendre, je me mettais à sangloter. Je ne m’intéressais plus au yoga et je ne voulais plus faire de stupides frappés au chou frisé. Je déclinais les invitations parce que la plupart des gens me tapaient sur les nerfs et que leurs problèmes ne m’intéressaient pas. Si ce n’avait pas été de mon chien Jed, je n’aurais probablement pas porté autre chose qu’un pyjama. Apparemment, ma guerrière intérieure avait rendu les armes.

Personne ne m’avait dit que la période suivant un traitement contre le cancer du sein peut souvent être plus éprouvante que l’année au cours de laquelle on reçoit le diagnostic. Hors de l’environnement sécurisant de l’hôpital, la personne passe de façon rapide et marquée du statut de patient à celui d’une personne retrouvant son quotidien. Le problème, c’est que j’avais changé. Je n’étais plus la même qu’avant mon diagnostic et je n’arrivais plus à me retrouver dans mon ancienne vie. La personne que j’étais avant n’existait plus et la nouvelle personne que j’étais ne savait pas où se situer.

Pour les autres, j’étais comme avant.

Mes cheveux repoussaient, mes seins avaient été reconstruits et mes cicatrices étaient couvertes par des vêtements. J’ai réussi à demeurer assez active et les marches avec Jed et mes cours de yoga me gardaient occupée. (Remarquez que Jed est un basset-hound… Alors, même si je n’ai jamais atteint une vitesse de marche fulgurante, je prenais un bol d’air frais.) Vu de l’extérieur, j’avais l’air normale, mais en moi, c’était la pagaille.

Avant de recevoir mon diagnostic, mes souvenirs, mes sentiments et mes attentes étaient en quelque sorte classés dans ma tête. J’ai ensuite été catapultée dans ce monde inconnu du cancer où j’ai dû faire face à un tsunami de dévastation, d’espoir, de tristesse, de chagrin, de gratitude, de choc, de gentillesse, de peine et de désespoir. Ma guerrière, Dieu la bénisse, avait contenu toutes ces émotions. Mais lorsqu’elle a quitté, tout m’a emporté et sous le poids de ces sentiments à l’état brut, je me suis effondrée.

Ma période la plus creuse est survenue par un après-midi ensoleillé, presqu’un an après ma première chirurgie. Je conduisais ma voiture lorsque je me suis rendue compte que des larmes coulaient sur mes joues. J’ai continué à conduire jusqu’à ce que je ne puisse plus voir. Je me suis rangée sur le côté de la route et là, la tête appuyée sur le volant, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J’étais incapable de me rappeler où j’allais et je m’en fichais. Je perdais la raison, et pas à peu près.

Le lendemain, j’ai appelé une amie pour lui annoncer que j’étais folle. Je lui ai confié que je me sentais perdue, déprimée et incapable d’affronter la situation. Son conseil a sauvé la mise. Elle a dit : « Ce n’est pas parce que tu as craqué que tu ne fais pas face à la situation. » J’ai compris que je mettais toute mon énergie à me maîtriser alors que dans le fond, j’avais besoin de m’écrouler. La « nouvelle moi » et la « vieille moi » tentaient de cohabiter, mais ce sont de terribles colocataires. Ma structure mentale d’origine ne pouvait pas les accommoder toutes les deux. Conséquemment, m’écrouler était essentiel au processus de guérison puisqu’il me permettait de me rebâtir.

À partir de ce moment, j’avais l’impression que je réapprenais à marcher, que je supportais le poids d’une autre personne et que je me délestais d’une partie de celle que j’étais avant. Je portais en moi une nouvelle compassion, mais sans avoir le fardeau des jugements. J’avais une nouvelle compréhension de la mortalité, mais également une sensibilité au courage et à l’esprit humain. Je connaissais la peur et je connaissais la bravoure. L’inquiétude était un poids énorme à porter, alors je l’ai mise de côté autant que possible, question de laisser la place au courage. J’ai réorganisé mes amitiés, m’éloignant de celles qui n’étaient pas saines pour laisser plus de place dans mon cœur pour ceux que j’aime.

Mes pas chancelants de bébés sont devenus, avec le temps, de plus grandes enjambées. J’ai néanmoins trébuché à de nombreuses reprises; le changement de mon échelle de valeurs m’avait, semble-t-il, déstabilisée. J’ai finalement pris de l’assurance et je me sentais entière, comme si finalement les pièces du casse-tête étaient réunies. Aujourd’hui, ma force mentale est présente. Cette force est accompagnée d’une plus grande souplesse me permettant de gérer tout ce que cette magnifique vie met sur mon chemin. Je ne ferai probablement jamais un marathon et je n’aime pas le tennis, mais j’aime ce que je suis devenue. Alors, quand mon ami m’a dit que j’étais
« redevenue celle que j’étais avant », je suis restée sans voix. Il n’était pas possible pour moi de retourner à ce que j’étais avant et il n’y avait plus de « vieille moi ». Et, pour ce qui est de la normale, elle pourrait ne jamais revenir. Néanmoins, je me reconstruis, je suis encore en santé et je marche droit devant vers la nouvelle personne que je suis.

À propos de l’auteure : Janet MacLeod est une survivante du cancer du sein qui habite à Toronto. Elle travaille comme acheteuse et styliste dans les domaines du cinéma et de la télévision. Elle a reçu son diagnostic original de cancer du sein bilatéral en juillet 2011. Le cancer dans son sein gauche était de stade 1 et le cancer de son sein droit était de stade 2. Depuis, elle a subi une mastectomie bilatérale suivie immédiatement d’une reconstruction par lambeau AEIP en 2013. Elle a été traitée au Mount Sinai Hospital et sa reconstruction a été effectuée au Toronto General Hospital. Allez lire son blog au http://balderdish.blogspot.ca/.