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La Voix Des Personnes Atteintes D'un Cancer Du Sein

Éducation

blogue À nous la parole


Vivre comme si j’étais sur le point de mourir

Par Cindy Barka

Cindy BarkaJe viens d’Ottawa. En mars 2011, je reçus de novo un diagnostic de cancer du sein métastatique accompagné de métastases aux os. Je suis une mère, une fille, une sœur, une artiste, une lesbienne, une athée et une jardinière de 53 ans.

Dans mon autre vie, j’étais spécialiste en règlements de conflits à la ville d’Ottawa. J’étais également membre du Barreau du Haut-Canada, parajuriste en Ontario et négociatrice de conventions collectives pour un syndicat national. Je suis entêtée lorsqu’il s’agit de faire valoir un point et c’est toute une chance. Je dus non seulement me battre pour obtenir un diagnostic, mais aussi défendre mes intérêts par la suite.

En février 2009, je reçus un diagnostic de commotion après avoir chuté. Mais je ne parvenais pas à m’en remettre. J’étais toujours fatiguée, j’avais mal partout et j’éprouvais des douleurs fantômes intermittentes. Ma médecin de famille me fit passer des scintigraphies cérébrales, des tests pour la maladie de Lyme et pour la fibromyalgie en plus de m’envoyer consulter un rhumatologue et un neurologue.

L’assureur lié à mon lieu de travail décida que j’avais besoin de voir un psychiatre. En l’absence de tout autre diagnostic, le psychiatre trancha : je souffrais d’une dépression.

Après un tel diagnostic, il fut très difficile pour moi d’être prise au sérieux par les médecins. Avant même de m’avoir serré la main ou de s’être présenté, le neurologue me demanda pourquoi j’étais si réfractaire à l’idée de prendre des antidépresseurs.

Ma réponse fut toute simple : « Parce que je ne suis pas en dépression. Quelque chose ne tourne pas rond et c’est votre travail de trouver le problème. » On m’apposa une étiquette de patiente difficile. Pendant les deux ans qui suivirent, je poursuivis ma recherche d’un diagnostic puisqu’on ne me prenait pas au sérieux et qu’on affirmait que ma douleur était sans doute occasionnée par ma dépression.

Je fus inscrite deux fois à un programme de réadaptation physique pour effectuer un retour au travail. Il comprenait beaucoup d’exercices physiques, des rencontres avec un psychiatre et des consultations hebdomadaires auprès d’un psychologue.  Pour lutter contre la douleur causée par la dépression, des employés bien intentionnés me demandèrent de faire de l’exercice, de la marche rapide et de la méditation.  Ils agissaient ainsi sur la base d’un diagnostic incomplet et sur ce qu’on leur avait dit.

Je crois que le diagnostic de dépression entrava la découverte de mon cancer. Aucune mention de dépression ne refit surface après la détection de mon cancer. Ironique n’est-ce pas ? C’est une leçon pour le système de santé, mais elle passera sans doute inaperçue.

Il fallut attendre que mon médecin de famille ordonne une radiographie pour que mes fractures à la colonne vertébrale soient découvertes. Mes vertèbres L3, L4 et L5 présentaient à la fois des fractures et des microfractures en plus de lésions cancéreuses et de signes de cicatrisation importants sur les fragments osseux, ce qui signifie qu’ils étaient cassés depuis un bon moment.

Ma médecin de famille me téléphona le dimanche 6 mars 2011 pour me dire qu’elle avait reçu les résultats de ma radiographie du dos. Recevoir un tel appel le dimanche n’annonce jamais rien de bon.

Elle m’expliqua que trois choses peuvent provoquer ce type de fracture. La première est l’ostéoporose. Or, je ne présentais aucun autre signe de cette maladie. La deuxième est une infection sévère. Cette possibilité fut éliminée rapidement parce que mon analyse de sang montrait un taux normal de globules blancs. La troisième option, la plus probable, était une forme de cancer.

Elle me proposa alors d’appeler une ambulance pour que je sois transportée aux urgences de mon hôpital local. Je décidai de m’y rendre en voiture. Je fonctionnais malgré ma douleur depuis tellement de mois qu’une heure de plus ne changerait rien.

Le diagnostic de cancer fut confirmé à l’hôpital, mais le type de cancer ou son site primitif ne put être déterminé par l’équipe médicale sur place. Je fus hospitalisée et une biopsie de ma colonne vertébrale fut planifiée.

Onze jours plus tard, je subis une greffe osseuse au cours de laquelle des os de ma hanche gauche furent prélevés pour être greffés à ma colonne vertébrale sur laquelle fut pratiquée une fusion osseuse. On m’installa un corset pour protéger ma colonne. Une section d’environ trois pouces de long de mon dos (là où les vertèbres étaient) est dorénavant étrangement plate. Je ressens de légères douleurs supportables au dos, mais ma hanche demeure toujours sensible.

La convalescence liée au prélèvement d’os dans ma hanche me sembla, à l’époque, plus pénible que tout. Je fus admise à l’hôpital le 6 mars et j’en ressortis à la fin mai. Je passai un autre mois alitée à la maison.

Pendant mon hospitalisation, on m’annonça que je souffrais d’un cancer du sein métastatique incurable. Je devais traverser la ville pour me rendre à mes traitements de radiothérapie. J’avais recours au transport adapté pour les malades pour aller du Campus Civic au Campus Général et vice-versa. En plus de tous les médicaments prescrits à la suite de mon intervention chirurgicale et de ma greffe osseuse, je commençai à prendre du tamoxifène.

Je fus bombardée d’un si grand nombre d’informations et de dépliants que je n’arrivais ni à en comprendre la teneur ni à les organiser. J’étais en état de choc et plus droguée qu’un groupe rock des années 70.

Je perdis mon emploi pendant mon séjour à l’hôpital. Mon poste contractuel fut à nouveau ouvert après mon absence de deux ans. Je pris ma retraite pour raisons de santé.

J’entrepris un programme de physiothérapie lorsque ma colonne vertébrale parut suffisamment guérie. Ma convalescence était loin d’être terminée. Je devais réapprendre à m’asseoir, à marcher et à prendre soin de moi.

Retourner travailler s’avérait impossible : j’étais alitée et sanglée dans un corset.  Qu’à cela ne tienne, ma compagnie d’assurance n’hésita pas à m’appeler à l’hôpital pour me crier dans les oreilles que je ne participais pas au programme de retour au travail des employés.

Je tentai de leur expliquer que malgré les mesures d’adaptation que mon employeur était prêt à prendre pour que je puisse retourner au travail, cela était irréalisable. La combinaison d’un corset dorso-lombaire, d’un cathéter, d’un goutte-à-goutte de morphine, d’une opération à la hanche, d’un dos fracturé et d’un cancer du sein métastatique m’en empêchait.

Puisque le représentant refusait de m’écouter et répétait inlassablement que je cherchais des excuses pour ne pas retourner travailler, je finis par lui dire que je consentais à me présenter au travail sous réserve de quelques modifications. Je demandai que les corridors des tribunaux soient élargis pour que je puisse me rendre dans la salle d’audience sur ma civière. Je demandai d’avoir à mes côtés une infirmière autorisée pour qu’elle puisse nettoyer mes cathéters et se procurer et m’administrer les narcotiques contrôlés dont j’ai besoin. Je mentionnai également la nécessité d’avoir un bassin hygiénique. Je demandai une augmentation de ma couverture d’assurance au travail dans le but de ne pas subir les contrecoups de mauvaises décisions que je prendrais sous l’effet de mes médicaments.

Mon agente d’assurance hurla au téléphone que j’étais ridicule ; elle n’aimait pas mon sarcasme. J’étais tout de même couchée dans un lit d’hôpital, corsetée et branchée sur des intraveineuses et des cathéters avec un diagnostic de cancer du sein métastatique. Heureusement pour moi, une infirmière et un membre de l’équipe chirurgicale entendirent cet échange.

Mon assureur rejeta ma demande de remboursement pour un corset parce qu’il jugeait que ce n’était pas nécessaire et qu’un corset ne « contribuerait pas de façon globale à ma guérison ». Le chef de la clinique de neurosciences envoya une lettre à ma compagnie d’assurances.

Le fait que l’équipe médicale prenait des décisions sans me consulter me posa problème.  Les médicaments provoquaient chez moi des idées suicidaires. Ce fait resta totalement ignoré jusqu’à ce que je rencontre une personne spécialiste en gestion de la douleur qui travaillait auprès des patients externes. Une nuit, une infirmière m’ordonna de sortir du lit et d’utiliser la toilette au lieu du bassin hygiénique. Je dus lui demander si c’était correct de me déplacer ainsi avec des fractures vertébrales.

Une autre fois, après mon opération, le médecin m’encouragea à m’injecter davantage de médicaments avec la pompe à perfusion pour contrôler ma douleur. De son côté, l’infirmière me dit : « Vous ne pouvez pas continuer à dépendre des narcotiques alors tentez d’en prendre seulement lorsque c’est absolument nécessaire. » L’amie qui était à mes côtés cette journée-là affirma que ma confusion sur mes soins actuels et à venir n’était pas étonnante.

Au cours d’une visite au centre de cancérologie auquel j’avais pu me rendre grâce à un transport adapté pour les patients, on annonça à ma sœur qu’il ne me restait qu’environ vingt-deux mois à vivre.

Puisque je n’avais aucune raison de remettre en question le pronostic, je pris des décisions financières en fonction du fait que je ne vivrais que vingt-deux autres mois environ. Je vendis ma maison. J’encaissai mes REER, je voyageai. J’achetai des cadeaux à mes enfants. Je vivais comme si j’étais sur le point de mourir.

Deux ans, puis trois, puis quatre passèrent. Cela fait maintenant sept ans que je vis avec les répercussions de mes choix financiers discutables. Je ne croyais pas que je vivrais plus longtemps. J’en appris davantage sur le cancer du sein métastatique. Je découvris que de nombreuses personnes déjouent les pronostics et vivent plus longtemps.

Sept ans plus tard, ce pronostic et les décisions qui en découlèrent m’affectent grandement d’un point de vue financier. Je suis forcée de me soucier de ma santé financière au lieu de profiter de mes derniers jours, semaines et mois aussi librement que je le voudrais. Presque chaque dépense doit être calculée.

Mes enfants également prirent des décisions à la lumière de mon pronostic. Mon plus vieux quitta les Forces armées pour vivre plus près de moi. Ma fille déménagea de Toronto à Ottawa, abandonnant ainsi ses études. Mon plus jeune interrompit lui aussi ses études.

À l’époque, je n’avais pas compris à quel point mon diagnostic stressait et traumatisait aussi mes enfants. Je le savais, mais je n’en avais pas évalué la pleine ampleur.

Je peine à croire tout ce que j’exigeai d’eux à ce moment-là. J’avais tellement mal et j’étais tellement bouleversée. Je devais affronter la fin d’une relation, me définir autrement que par mon travail. Je cherchais la détermination nécessaire pour marcher à nouveau. Je tentais de trouver des traitements contre le cancer tout en poursuivant mes rêves de fin de vie. Il me fallut presque deux ans pour comprendre que je les avais abandonnés. Peut-être était-ce pour les protéger de ma disparition inéluctable…

Les choses vont mieux maintenant. Les enfants mènent de nouvelles carrières et sont retournés aux études. De manière générale, ils refont leur vie malgré l’épée de Damoclès que représente mon diagnostic.

Ma relation de couple de huit ans, déjà fragile avant mon diagnostic, s’effondra. Ma partenaire était incapable de faire face à mon cancer et à la possibilité que je sois handicapée physiquement.

Même si cette rupture s’avéra une bonne chose, ce n’était qu’une difficulté de plus parmi toutes celles qui existaient déjà. Mon isolement s’accrut.

Je ne pouvais plus jouer à la balle-molle ni au volleyball. Je ne travaillais plus. Des amis s’éloignèrent et ce fut la fin de mon couple. Mes deux chiens moururent en moins de six mois, de deux cancers différents incidemment. J’étais très isolée. Très peu de personnes désirent entamer une relation avec une patiente atteinte d’un cancer du sein métastatique. Les lesbiennes sans emploi avec un cancer du sein métastatique constituent peut-être une niche encore inexploitée dans le marché des sites de rencontre.

Une fois par année, mon assureur me demande si je vais mieux et il s’enquiert des mesures prises pour améliorer mon état de santé. Il a cessé de me demander toujours aussi poliment pourquoi je n’étais pas encore décédée : « Vous avez vécu plus longtemps que la durée inscrite dans notre clause sur l’espérance de vie. Veuillez nous informer de tout changement apporté à votre pronostic. » Ma réponse varie selon mon humeur. Parfois, je me contente d’écrire « ENCORE EN VIE et TOUJOURS CANCÉREUSE » puis je renvoie les formulaires. J’ai vraiment un sens de l’humour très tordu.

Au cours des sept dernières années, je connus les hauts et les bas habituels. Le cancer devint cependant une occasion de tenter de nouvelles choses, de visiter de nouveaux endroits, de renouer des relations et de mettre fin à celles qui s’avéraient mauvaises, de distinguer les deux et d’avoir le courage d’essayer.

J’adoptai un chien âgé à Noël et je parfais mes talents en peinture, une activité que je ne pratiquais pas avant mon diagnostic. Récemment, je fis un voyage en Turquie avec ma fille. Je partage une maison avec mes deux fils.

En novembre 2017, je reçus à nouveau un traitement de radiothérapie à la suite de l’apparition de nouvelles lésions sur ma hanche et mon bassin. La prochaine étape consiste à changer mes médicaments actuels pour la combinaison Ibrance/fulvestrant.

Qui sait ce qui arrivera après ? Je suis spontanée et je profite de tout ce qui m’est offert. Alors peut-être me retrouverai-je à nouveau en train de boire un café à Istanbul ou deviendrai-je une artiste urbaine adepte de graffitis. Je compte bien vivre comme si j’étais sur le point de mourir.